
"Le Cercle des Idées", un espace de rencontre et de réflexion dédié à l’élite mauritanienne, réunissant des esprits engagés autour des grandes questions qui façonnent l’avenir du pays, a rendu public, la synthèse des débats de ses membre sur la question des trafics illicites en Mauritanie
Introduction
L’actualité nationale a récemment été marquée par le démantèlement spectaculaire d’un vaste réseau de trafic de produits hallucinogènes, opération brillamment menée par la gendarmerie nationale. Cette affaire, qui a conduit à l’interpellation de dizaines de personnes, a mis à nu l’ampleur d’un fléau longtemps sous-estimé. Elle a aussi déclenché une onde de choc dans l’opinion publique, nourrissant une inquiétude généralisée et une série de polémiques. La psychose collective née de cette affaire témoigne d’un malaise profond et d’une attente forte de réponses à la hauteur de la menace.
C’est dans ce climat de tension mêlé d’espoir que le Cercle des Idées a ouvert un espace d’échange rigoureux et serein sur la problématique des trafics illicites en Mauritanie : drogues, psychotropes, blanchiment d’argent, trafic humain et autres formes de criminalité organisée. Le niveau des débats, la diversité des contributions, et la qualité des propositions formulées témoignent de la richesse de cette réflexion collective. Ce document en restitue les grands axes, dans une démarche de synthèse utile à la mobilisation nationale.
I. Constat général : une menace systémique et évolutive
Les participants au débat ont d’abord dressé un constat lucide : les trafics illicites sont devenus une menace systémique. Longtemps considérée comme un simple couloir de transit, la Mauritanie est désormais confrontée à une triple transformation inquiétante : pays de transit, pays de stockage, et pays de consommation.
Les frontières longues et poreuses, la géographie désertique, l’insuffisance d’équipements de détection modernes, ainsi que la faiblesse de certaines institutions facilitent l’implantation de réseaux mafieux. Le phénomène ne se limite plus aux grandes villes : il s’étend à l’intérieur du pays, affectant la jeunesse, les établissements scolaires, et même certains milieux professionnels.
La sophistication croissante des réseaux, souvent liés à des groupes transnationaux, accentue la difficulté de lutte. Les participants ont souligné les risques graves pour la stabilité sociale, la santé publique, la sécurité nationale et même pour les fondements économiques et moraux de l’État.
Un point central soulevé à ce stade a été l’absence, dans le passé, d’une volonté politique suffisamment affirmée pour traiter ce fléau à la racine. Le laxisme, les complicités, et parfois même la banalisation de certaines affaires avaient favorisé une progression silencieuse des réseaux. Cette situation exige aujourd’hui une rupture claire, incarnée par une volonté politique ferme, déterminée et assumée. Sans cet engagement au sommet de l’État, les efforts techniques et juridiques resteront insuffisants.
II. Surveillance des frontières : un impératif stratégique
Un consensus s’est dégagé autour de la nécessité absolue de renforcer le contrôle des frontières, considéré comme la première ligne de défense contre les trafics. Plusieurs membres ont insisté sur l’impératif d’instaurer une surveillance intelligente, assistée par les technologies modernes : drones, radars terrestres, capteurs de mouvement, vidéosurveillance, et réseaux de communication sécurisés.
La modernisation des équipements de détection de la douane, notamment dans les postes frontaliers et les ports, a été jugée prioritaire. Il s’agit de doter ces services de scanners mobiles, de systèmes de reconnaissance automatique, et de bases de données partagées avec les autres forces de sécurité.
La coordination entre les différents corps (douane, gendarmerie, police, armée) doit aussi être repensée dans une logique d’efficacité opérationnelle. La création de centres d’opérations interconnectés dans les zones sensibles a été proposée.
III. Autres dimensions abordées : causes, complicités, et vulnérabilités
Outre l’enjeu frontalier, les débats ont mis en lumière d’autres aspects clés :
La progression de la consommation locale, notamment des psychotropes bon marché, est jugée alarmante. Elle touche de plus en plus la jeunesse, avec des conséquences dramatiques sur la santé mentale, la délinquance, et la déscolarisation.
Les établissements scolaires sont devenus des cibles directes de ces fléaux. Des cas de consommation et de trafic dans l’enceinte même des écoles ont été rapportés, exposant des enfants mineurs à un environnement toxique. Cela entraîne des abandons scolaires, une montée de la violence juvénile, et la perte de repères éducatifs et moraux. Une attention particulière doit être accordée à la formation du personnel éducatif, à l’instauration de programmes d’éducation préventive dans les curriculums, et à l’introduction de cellules d’écoute et de soutien psychologique dans les établissements.
Les complicités silencieuses au sein de certaines structures locales, ou les interférences politiques dans certaines enquêtes, sapent la crédibilité de l’action publique. Le sentiment d’impunité nourrit la récidive et fragilise la mobilisation citoyenne.
Le cadre juridique, bien qu’existant, est en retard sur les réalités actuelles : les drogues synthétiques, les plateformes de communication utilisées par les trafiquants, ou encore les circuits de blanchiment via crypto-actifs ne sont pas toujours couverts de manière claire et efficace.
Enfin, les débats ont mis en avant l’impact potentiel de l’école – non seulement comme espace menacé, mais aussi comme levier de transformation. Une école qui éduque, qui alerte, qui encadre et qui insuffle des valeurs peut devenir un rempart puissant contre la criminalité.
IV. Rôle des autorités religieuses
Un large accord a été exprimé sur l’importance du rôle des autorités religieuses dans cette lutte. Les imams, oulémas et enseignants religieux disposent d’une autorité morale incontestée dans la société mauritanienne. Leur implication active dans la sensibilisation, à travers les prêches du vendredi, les discours communautaires, les programmes religieux diffusés, peut renforcer la conscience collective des risques liés aux drogues et au crime organisé. Le discours religieux, allié à une pédagogie adaptée, peut devenir un facteur de résilience.
V. Propositions issues des débats : vers une stratégie nationale intégrée
Les membres du Cercle des Idées ont formulé plusieurs propositions stratégiques, structurées autour de six axes :
1. Création d’une Agence nationale de lutte contre les trafics illicites, indépendante et intersectorielle, placée sous autorité directe de la Présidence ou du Premier ministère.
2. Renforcement du cadre légal, avec une révision du code pénal pour y intégrer les nouvelles formes de criminalité et instaurer des juridictions spécialisées, aux procédures rapides et exemplaires.
3. Investissement dans les technologies de surveillance et de détection, notamment pour la douane et les services de renseignement. Cela inclut les outils numériques de traçage des flux financiers suspects.
4. Lancement d’un plan national de prévention et de sensibilisation, en partenariat avec les écoles, les mosquées, les médias et les ONG, pour freiner la demande et alerter les familles sur les risques.
5. Mobilisation des autorités religieuses, comme piliers dans la prévention et la réinsertion morale des personnes à risque.
6. Coopération régionale et internationale renforcée, avec les pays du Sahel, le Maghreb, les agences de l’ONU, Interpol et l’Union africaine, afin de mutualiser les efforts de lutte et d’échange d’informations.
7. Mécanisme d’évaluation indépendant, pour suivre l’impact des politiques publiques et proposer des réajustements en temps réel.
Conclusion
Les échanges du Cercle des Idées sur la question des trafics illicites ont mis en lumière un consensus profond : la Mauritanie fait face à une menace sérieuse, aux ramifications multiples, et dont les conséquences peuvent être dévastatrices si elle n’est pas affrontée avec rigueur, courage et méthode.
Il ne s’agit plus de réponses ponctuelles ou de discours de circonstance, mais d’un véritable sursaut national, mobilisant toutes les énergies : État, forces de sécurité, société civile, leaders religieux, familles, médias et partenaires internationaux. Mais ce sursaut ne pourra se concrétiser sans une volonté politique claire, résolue et constante, assumant pleinement la gravité du défi et engageant l’ensemble des institutions de l’État dans une démarche cohérente.
La lucidité des constats formulés, la pertinence des propositions avancées, et le climat de dialogue constructif qui a régné durant ces échanges témoignent d’un engagement sincère à sortir notre pays de cette spirale dangereuse. Le Cercle des Idées, en posant ce débat avec hauteur, appelle à une réponse forte, coordonnée et durable. Car il en va de l’avenir de notre jeunesse, de notre stabilité et de notre souveraineté.
Rappelons enfin que "Le Cercle des idées" est un groupe d'intellectuels de tout bord visant à instaurer un dialogue sérieux, profond et dépassionné, affranchi des clivages partisans ou communautaires, dans le respect de la diversité des opinions et des parcours.
Lieu d’échange constructif et de pensée critique, Le Cercle des idées" encourage la formulation de propositions concrètes, la confrontation d’analyses rigoureuses et la promotion d’une culture du débat éclairé. Son ambition est de nourrir l’espace public d’idées fortes et responsables, au service de la cohésion nationale et du progrès partagé