Gaza : le nécessaire rapprochement stratégique euro-arabe

L’Europe et le Monde arabe sont des “voisins” de longue date, sur le triple plan géographique, spirituel et culturel. Une proximité qui, nonobstant des querelles de voisinage parfois tragiques, n’en a pas moins tissé d’indéniables liens multiples entre les deux rives de Bahr Roum (la mer des Romains). 
 

Au moment où les opinions publiques en Europe occidentale penchent indubitablement du côté du peuple palestinien, victime d’un interminable martyre, une contribution volontariste des chancelleries européennes à l’arrêt du génocide à Gaza, via la reconnaissance officielle de l’État de Palestine, répondrait à un impératif démocratique, tout en aidant à promouvoir la paix dans une région traumatisée par la violence endémique et à faire recouvrer à la Méditerranée son rôle phare dans la civilisation humaine.

1- Aux racines des liens euro-arabes

Les conquêtes arabo-musulmanes en Europe (siècles VII et VIII), les Croisades (siècles XI et XII), la libération de Jérusalem(1187), les équipées coloniales (siècles XIX et XX), les guerres d’indépendance (siècle XX), l’interminable conflit en Palestine et ses guerres collatérales meurtrières (siècles XX et XXI), les vives tensions migratoires actuelles autour de la Méditerranée, n’ont pas engendré que des ressentiments de part et d’autre de cette mer mythique, mais forgé, dans la douleur, une indéniable proximité culturelle, scientifique et humaine ; en Europe, les langues véhiculaires et la cuisine, pour ne citer que ces deux « marqueurs » culturels, en témoignent éloquemment.
Un  Monde arabe uni et démocratique aux portes de l’Europe, aurait-il été plus défavorable à la stabilité et à la prospérité de l’Angleterre ou de la France, qu’un  monde arabe divisé, violenté, humilié et désespéré ?
Le méfait le plus important des accords de Sykes-Picot sur le dépeçage de l’empire ottoman, n’est pas d’avoir émietté  la région, ni d’avoir exploité à outrance ses ressources énergétiques, ni même d’avoir travaillé méthodiquement à en éclipser l’identité culturelle, mais de n’avoir  consenti aucun effort pour y encourager la démocratie pluraliste, vecteur de modernité. Ce n’est pas d’un point de vue moral que le reproche est ici adressé aux anciennes puissances coloniales - car, ce serait incongru-, mais plutôt d’un point de vue stratégique.
Selon les historiens unanimes, l’idée d’une cohabitation harmonieuse avec le monde arabo-musulman a bien été à l’ordre du jour ; ainsi, sous le règne du dernier roi de France, à la veille donc de la révolution de 1789, un homme aussi influent que Charles Gravier de Vergennes, ministre des affaires étrangères de Louis XVI, défendait, mordicus, l’option d’aider l’empire ottoman à se développer, maintenant de la sorte un équilibre territorial entre la chrétienté et l’islam. Il pensait  que les peuples arabo-musulmans devaient bénéficier de la nouvelle rationalité en Europe, en reconnaissance de leurs apports significatifs à la Renaissance européenne. Il estimait que c’était là la meilleure approche  pour contrer l’influence anglaise et promouvoir le rayonnement mondial de la France. Une telle conception des rapports euro-arabes n’est sans doute pas étrangère à la campagne de Napoléon Bonaparte en Egypte, en 1798 ; il s’y fit accompagner par un contingent  de cent soixante savants et ingénieurs, comprenant de célèbres mathématiciens  tels G. Monge, inventeur de la Géométrie descriptive et J. B. J. Fourier, célèbre pour l’Analyse éponyme, et y introduisit la première imprimerie utilisant les lettres arabes. Ces lettres, soit dit en passant, furent «empruntées” au Vatican, lors de la campagne napoléonienne en Italie ; elles témoignent du statut, à l’époque, de la langue arabe et du volume des traductions à partir de cette langue vers le latin et les autres langues européennes.
À la fin du XIX-ème siècle, Abdoul Hamid II, dernier empereur ottoman à avoir exercé le pouvoir de manière effective à Istanbul, ayant eu l’humilité et la perspicacité de remarquer le décrochage scientifique et technique de son empire par rapport à l’Europe, décida de dépêcher l’érudit mauritanien, M. M. Ould T’Lamid, à la tête d’une importante équipe de lettrés, en Andalousie, à Paris et à Londres, en vue d’explorer les grandes bibliothèques à la recherche de documents susceptibles d’aider l’empire à rattraper son retard, par rapport à ses voisins méditerranéens.
La tactique de colonisation adoptée, sur proposition de certains “orientalistes”, au début du vingtième siècle, spécialement en Afrique du Nord, s’inscrivait probablement dans cette approche particulière de la domination coloniale via l’usage du double levier spirituel et culturel.
Les accointances arabes, somme toute relatives, souvent  reprochées  aux Gaullistes  par certains milieux politiques en France, et certains propos objectifs d’hommes politiques français au sujet de la question palestinienne, relèvent, à coup sûr, de la même conception  et de la même permanence des rapports euro-arabes, dans la culture politique française. Cette conception est à l’origine de l’image positive dont jouissait, sur le plan culturel, ce grand pays européen,  dans certains milieux intellectuels arabes.
Il convient de noter, à ce propos, que des décennies en amont de la Renaissance européenne, l’essentiel des programmes enseignés dans les universités européennes reposait sur des manuels traduits en latin à partir de traités arabes. À titre d’exemples, le Canon d’Avicenne et le Colliget d’Averroes ont longtemps représenté le socle de l’enseignement de la médecine en Europe.
Il fut un temps où les riches marchands florentins, pour tenir leurs registres comptables, envoyaient leurs enfants, tel l’auteur de “Liber Abaci”, Leonardo de Pise (Fibonacci), étudier « le calcul des Arabes », sur la rive méridionale de la Méditerranée, notamment à Bougie. C’est à cet illustre auteur que revient l’honneur d’avoir introduit, en Europe, en 1202, les “chiffres arabes” et le système décimal, aujourd’hui universel.
Une telle introduction en Europe du système décimal positionnel peut être mise en balance avec celle des lettres d’imprimerie arabes, par Napoléon Bonaparte, en Égypte, en 1798. Deux actions qui résument à elles seules la complexité féconde des relations séculaires qui unissent l’Europe et le Monde arabe.
Pour discerner l’imaginaire du vécu, il convient de noter, à titre d’exemple, que Narbonne (Arbûna, en arabe) est restée arabo-musulmane des décennies durant, avant et après la victoire de Charles Martel sur les troupes commandées par Abderrahmane al Ghafiqi, à Poitiers, en 732. En effet, la reprise militaire de Narbonne eut lieu en 793, sa sécurisation ne fut définitivement acquise qu’en 1020.
Les Lumières auraient-elles été aussi “éblouissantes” en Europe, au dix-septième siècle, si le système positionnel décimal et le zéro n’y avaient pas été introduits à partir du corpus scientifique arabe ? Les concepts aristotéliciens, “instrumentaux” dans la révolution scientifique et technique en Europe, y auraient-ils été bien assimilés, si les monumentales œuvres du “Père du rationalisme” (surnom, en Europe, d’Averroes) n’y avaient pas été minutieusement traduites de l’arabe au latin, durant le haut moyen âge ?
Il est probable que sans le traité de l’érudit arabo-andalou Ibn Mun’im sur l’Analyse combinatoire (Fiqh Alhissab : Science du calcul), rédigé au XII-ème siècle, dans cette ville emblématique, fondée par la dynastie Almoravide, qu’est Marrakech, le brillant B. Pascal, n’aurait pas “découvert”, au XVII-ème siècle, son fameux triangle.
Les traductions massive de l’arabe au latin à l’époque, ne prouvent-elles pas la place prépondérante dont jouissait cette langue arabe, au sein des élites scientifiques et intellectuels européennes ? En ces temps-là, le latin et le grec étaient-ils plus utilisés -par les érudits européens- que l’arabe ?…
D’illustres intellectuels européens tels V. Hugo et A. de Lamartine, ont, ultérieurement, grâce à des écrits mémorables, gravé dans le marbre la complicité scientifique et culturelle qui unit les deux rives de la Méditerranée.
D’autres créateurs européens, inspirés par l’idéologie coloniale, ont contribué ultérieurement à imprimer une vision négative de la culture arabe. À titre d’exemple, des
aventures de Tintin, temple incontesté de la littérature pour enfants en Occident, celles réservées au Monde arabe sont, de loin, les plus diffamantes et les plus stigmatisantes. Le tonitruant reporter imaginé par l’artiste Hergé, a consacré quatre de ses aventures au Monde arabe : « Tintin au pays de l’or noir », « Coke en stock », « Les cigares du Pharaon » et « Le crabe aux pinces d’or ». La première aventure consiste en une enquête sur du pétrole frelaté, la deuxième traite d’un trafic d’esclaves, la troisième est consacrée à un trafic international de stupéfiants et la quatrième révèle un …trafic d’opium.
L’explicite appel au meurtre contre l’Arabe a valu à l’auteur de l’Étranger, A. Camus, non moins que le prestigieux Prix Nobel de littérature, en 1957 ; cette œuvre ostensiblement raciste a inspiré, en 1978, au groupe anglais The Cure, un autre appel au meurtre encore plus explicite : (« Killing an Arab »)… Est-on en droit de parler, à ce propos, de terrorisme culturel contre les Arabes ?
Ces éléments factuels, parmi tant d’autres, poussent à se demander si, dans certains milieux culturels occidentaux, l’islamophobie et le sentiment anti-arabe ne sont pas devenus, au fil du temps, des critères (idéologiques) de recevabilité et de qualité, bien plus importants que les critères purement professionnels.
Des œillères culturelles toxiques précocement installées, parfois renforcées par l’éducation artistique, littéraire et politique ultérieure, et donc quasi-inamovibles, à moins d’une rééducation alternative, axée sur l’ouverture intellectuelle, la tolérance culturelle et une empathie non sélective.

Un frémissement diplomatique

L’actuel président français a laissé entendre, à l’occasion d’une récente visite en Égypte, que son pays reconnaîtrait l’État de Palestine en juin prochain ; il s’agit là d’une évolution significative de la position officielle de la France au sujet de la question palestinienne. Le pays de Molière a, des décennies durant, maintenu une politique de soutien actif à Israël, en l’aidant notamment à acquérir l’arme nucléaire, tout en ménageant, via une rhétorique subtile, ses intérêts commerciaux, économiques et culturels, dans un monde arabe avec lequel les liens, souvent conflictuels, parfois symbiotiques, remontent longtemps en arrière. Une ambiguïté délibérée, gravée dans la mémoire collective arabe par des propos lénifiants de De Gaulle au tout début du conflit en Palestine, par ceux de Chirac lors de la guerre d’Iraq et, plus récemment, ceux courageux de De Villepin au sujet du génocide en cours à Gaza.
À la différence de ces illustres prédécesseurs, le Président Macron ne s’est pas limité aux éléments de langage habituels de la diplomatie de son pays en direction de l’opinion publique arabe, car, il a introduit une information, une date buttoir, pour « franchir le Rubicon » et entrer dans l’Histoire comme le premier leader d’un grand pays occidental, détenteur d’un arsenal nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, à assumer ses responsabilités historiques, morales et juridiques au sujet de l’interminable martyre du peuple palestinien.
En réalité, le Président Macron est, aujourd’hui, soumis à de telles contraintes internes et externes, qu’il lui est impératif d’explorer de nouvelles thématiques, pour faire entendre la voix de son pays sur le scène internationale, à un moment où certains acteurs internationaux occupent, à coup d’entorses désinvoltes aux règles élémentaires du protocole, de frasques et de volte-faces, tout l’espace médiatique disponible.
L’inflexion imprimée par l’actuel président français à la politique proche-orientable de son pays, est probablement destinée à soulager une grandissante pression populaire domestique, en faveur de la cause palestinienne et contre les auteurs du génocide à Gaza. Une pression exercée, avec un indéniable courage moral et une rare résilience dialectique, par la gauche française, le leader de LFI, J. L. Mélanchon en tête.
Il n’est pas exclu que le peu de cas que se fait l’actuel premier ministre israélien des « réserves » françaises au sujet des agressions récurrentes, particulièrement celles contre le Liban, ait joué un rôle dans le dernier “déclic” diplomatique français, au sujet du droit inaliénable du peuple palestinien à se défaire de l’oppression coloniale.
La récente visite du chef en second de l’extrême droite française en Israël, les 26 et 27 mars dernier, une visite largement médiatisée, sur fond de démêlés judiciaires de la patronne du RN, et la réception, le 3 avril dernier, en grandes pompes à Budapest (Union européenne) d’un premier ministre israélien recherché par la CPI, ont le potentiel de faire craindre au Président Macron une alliance sacrée (Une Internationale !) des extrêmes droites israélienne et européennes, galvanisées par les changements radicaux outre-atlantiques, unies dans leur obsession islamophobe et décidées à laminer toute forme de résistance politique à leur vision manichéenne du monde.
L’émergence de Rome -en raison de sa compatibilité idéologique avec la nouvelle donne politique à Washington-, comme centre de gravité politique et diplomatique de l’Europe, au détriment de Paris, mais aussi de Berlin, Londres et Bruxelles, n’est pas une simple vue de l’esprit. C’est le moment, pour la diplomatie française, d’attirer ailleurs l’attention publique, sur la thématique consensuelle des valeurs universelles (justice, compassion…), en planche de salut. Une telle thématique est centrale dans les narratifs politico-culturels français, par temps de grandes intempéries sur la scène diplomatique internationale. En voyant l’actuel président français passer en revue, le 8 avril dernier, le long convoi de semi-remorques bloqué à El-Arich, à quelques encablures de la petite enclave (Gaza) hermétiquement assiégée, privant ainsi ses habitants d’un fret humanitaire notoirement urgent, l’on ne peut s’empêcher de penser à ce credo de la diplomatie traditionnelle française, hérité de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; un credo bien mal en point, en ces jours où la gouvernance mondiale se décline à coup de deux poids deux mesures (Palestine, Ukraine), de menaces contre des États souverains et des territoires autonomes, de projet ubuesque de promotion immobilière à Gaza, sur fond de génocide patent, de spéculation boursière, sur fond de surtaxes douanières exorbitantes et de leur corollaire, une guerre commerciale tous azimuts, agrémentée de soupçons de délit d’initié.
Le monde universitaire américain, l’un des plus brillant au monde, est aujourd’hui vent debout contre les coupes drastiques dans ses subventions publiques, les atteintes graves aux libertés fondamentales sur les campus, l’intrusion populiste dans ses orientations en matière de recherche, et les mesures d’expulsion visant des professeurs et des étudiants étrangers ; des universités prestigieuses, Harvard en tête, résistent héroïquement, certaines autres font le dos rond, en attendant des jours meilleurs, d’autres institutions universitaires épousent allègrement la pente idéologique en vogue outre-atlantique, aveugles aux risques inhérents à une telle décision, à moyen et long termes.
Pour faire pièce à la nouvelle gouvernance mondiale où l’absence quasi-totale de tempérance, de nuance et de vraisemblance, est en passe de s’imposer comme la qualité “diplomatique” par excellence, le rappel des fondamentaux humanistes peut s’avérer payant, sur le triple plan médiatique, politique et diplomatique.
Les retombées morales, diplomatiques et économiques, engrangées, sous le leadership de Pedro Sánchez, par l’autre ex-puissance coloniale, latine et méditerranéenne, l’Espagne, suite à sa reconnaissance officielle de l’État de Palestine et son interdiction d’achat ou de vente d’armes à Israël, en réaction à la guerre sur Gaza, sont de nature à aiguiller son grand voisin, la France, vers la voie de l’équilibre stratégique, quant à sa politique méditerranéenne.
Un fil tenu peut être imaginé entre la visite présidentielle française en Égypte, d’une part, et le tumultueux contexte à l’œuvre au Sahel, d’autre part ; un contexte marqué par une forme de défiance à l’endroit de l’ex-puissance coloniale. La France serait-elle en train de s’intéresser davantage au Proche-Orient, au détriment de sa zone traditionnelle d’influence en Afrique de l’Ouest ? Si oui, un intérêt diplomatique accru pour la question palestinienne peut, en effet, constituer un levier politique idéal pour s’attirer les faveurs d’une opinion publique arabe passablement désabusée.
L’âpre guerre commerciale en perspective aidant, il n’est pas exclu que le fléchissement de la position officielle française en faveur des droits fondamentaux du peuple palestinien s’inscrive, prosaïquement, dans le cadre d’une stratégie de résilience économique, visant à préserver des parts de marché et tenter d’en gagner de nouveaux, auprès de consommateurs friands de produits de luxe et de clients potentiels pour divers équipements lourds.

Un mouvement d’ensemble

Selon une récente interview de l’ex-Commissaire aux Affaires étrangères de l’U.E., J. Borrell, 50% des armes servant aujourd’hui à massacrer la population civile à Gaza sont de provenance européenne.
Lorsque la demeure de votre voisin de palier - la Palestine est le voisin de palier géopolitique de l’Europe- brûle régulièrement par le fait de pyromanes facilement identifiables, votre quiétude morale et matérielle ne peut qu’en être affectée, et ce quels que soient la solidité et l’épaisseur de vos murs, la robustesse de vos portes, la qualité de l’insulation sonore et calorique, et le confort intérieur de votre demeure. Lorsqu’en plus, vous savez, pour sûr, que vos gouvernements, par leurs agissements passés et présents, ont contribué à l’actuel imbroglio proche-oriental, vous avez objectivement intérêt à épauler votre voisin dans sa quête de justice, car, selon M. Luther King Jr : “une injustice n’importe où, est une menace pour la justice partout.”
En réalité, l’engagement acté par la France, en faveur d’une reconnaissance future de l’État de Palestine, n’est pas isolé sur le plan européen. Comme cela a été déjà signalé, l’Espagne peut être considérée comme le nouvel État précurseur en la matière, en compagnie de la République d’Irlande et du Royaume de Norvège.
De nombreux parlements européens ont majoritairement voté en faveur de la reconnaissance officielle de la Palestine, prenant parfois à revers des élites longtemps réfractaires à une telle initiative ; ainsi, le 4 juin 2024, le parlement slovène décida de voter à une écrasante majorité cette reconnaissance, en dépit de nombreuses pressions et manœuvres dilatoires.
D’éminentes personnalités d’ascendance juive ont dénoncé publiquement et avec force arguments, la violence excessive contre les populations civiles à Gaza, ainsi d’Amos Goldberg, professeur à l’Université hébraïque (Jérusalem), spécialiste de l’Holocaust, dans une interview au journal Le Monde, fin octobre 2024 : “oui, c’est un génocide…”, et du sénateur américain B. Sanders.
Toujours en mars 2024, George Galloway, courageux défenseur du droit des Palestiniens à la dignité et à la liberté, fut élu député de Rochedale (Angleterre), à la surprise générale, avec juste six voix d’écart. Cette élection, sur le fil du rasoir, rend compte, à elle seule, de l’inexorable basculement en faveur de la cause palestinienne, à l’œuvre dans les opinions publiques occidentales.
Parmi les gouvernements de l’Union européenne les plus alignés sur la posture maximaliste de l’actuel gouvernement de droite israélien, que sont la Hongrie, les Pays-Bas et la Tchéquie, de nombreuses voix se font à présent entendre, pour dénoncer les sévices inqualifiables s contre la population civile palestinienne et contre le projet de nettoyage ethnique défendu par la nouvelle administration américaine, au sujet de Gaza.
En mars dernier, le parlement canadien a voté une motion demandant au gouvernement de ce pays l’arrêt d’envoi d’armes susceptibles d’être utilisées contre la population civile palestinienne.
Le chancelier allemand sortant, d’habitude peu disert au sujet de la question palestinienne, a récemment qualifié d’”inacceptable” le projet de déportation des habitants de Gaza vers l’Égypte et la Jordanie.
Dans ce véritable réveil de la conscience populaire en Europe, au sujet de la tragédie en Palestine, les artistes ne sont pas en reste, tant s’en faut, ainsi de Garth Hewitt qui dédia une sublime chanson d’espoir (“My name is Palestine and I will survive…”), en ces jours apocalyptiques à Gaza.
À en juger par certaines démissions précoces et emblématiques au sein de l’actuelle équipe gouvernementale américaine et par les récentes défaites électorales cinglantes des adeptes de la ligne politique défendue par cette équipe à travers le monde anglo-saxon, notamment en Australie, au Canada, en Angleterre…, les désormais fréquents rétropédalages en matière de surtaxes douanières, les prochaines élections de mi-mandat seront, à coup sûr, désastreuses pour l’actuel locataire de la Maison Blanche, politiquement parlant.

Conjurer le mauvais sort

Le tragique Printemps Arabe, son lourd tribut humain, matériel et institutionnel, et ses réminiscences, illustrent parfaitement les graves risques sécuritaires, pour le Monde arabe, de la jonction satanique entre la vision néo-coloniale prégnante dans certains milieux politiques occidentaux, et celle de nébuleuses politiques arabes issus de l’Islam politique. Les milieux occidentaux anti-arabes ont compris, depuis T. E. Lawrence, alias Laurence d’Arabie, le profit tactique qu’ils peuvent tirer de la vulnérabilité intellectuelle des telles nébuleuses, manipulables à souhait et corruptibles à l’occasion. Sans la naïveté béate et la complicité agissante de tels mouvances politiques, Bagdad, Tripoli, Damas, seraient encore debout, offrant, à titre d’exemples, à la femme arabe et ses enfants de bien meilleures conditions de dignité et de vie matérielle que celles qu’ils endurent, aujourd’hui, dans ces trois capitales…
Si l’humanisme a une finalité morale, c’est précisément à ce niveau qu’il faut la décliner ; nombre d’organisations populaires et de personnalités européennes éminentes, toutes tendances politiques et confessionnelles confondues, comprennent le risque inhérent à cette tragique jonction et militent courageusement pour venir en aide aux millions de victimes innocentes et silencieuses de l’une des pires tragédies sur terre.
Une « talibanisation » du Monde arabe n’est évidemment pas dans l’intérêt de ce dernier, mais elle peut s’avérer désastreuse, à moyen terme, pour ceux qui, grisés par leur supériorité technologique et militaire du moment, parlent ouvertement de « nettoyer » Gaza et de ramener tout le Monde arabe « à l’âge de pierre ». L’Amérique, l’Europe occidentale et le monde entier, au-delà des considérations morales, n’ont aucun intérêt objectif à encourager une telle dérive fasciste.
Les acteurs européens des initiatives en faveur de la dignité et de la liberté des Palestiniens, n’ont pas la mémoire courte et comprennent qu’en détournant, aujourd’hui, le regard de ces centaines de milliers d’enfants gazaouis, criminellement affamés à mort, c’est accepter, demain, des agissements similaires ailleurs de par le monde et faire ainsi le lit de l’extrême-droite et des gangs criminels est-européens sur le vieux continent.
Les néo-nazis, à l’image de leurs funestes ancêtres idéologiques, ne sont reconnaissables ni à la pigmentation de leur peau, ni à leur religion ou culture, ni à leur fortune ou statut social, mais à leur sinistre lexique ; des éléments de langage abusifs dont la finalité est “l’animalisation” de l’autre, en vue d’en justifier la stigmatisation, l’exclusion, la persécution et parfois de bien pires traitements… Les propos de certains dirigeants israéliens actuels concernant les habitants de Gaza, rappellent tristement et à s’y méprendre, ceux abjects, proférés par Hitler et ses acolytes contre les Juifs et les Tziganes, au siècle dernier. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ces dirigeants sont, aujourd’hui, activement recherchés par la CPI, pour rendre compte de leurs propos et actes.
Si Jésus (Issa, PSL), lui-même, ressuscitait aujourd’hui et prenait, incognito, le métro dans une grande capitale occidentale, il subirait, avant d’avoir eu le temps de prêcher la bonne parole et en raison de son faciès, l’adversité de l’intolérance et de la stigmatisation raciale, de la part de ceux qui, parfois au nom de ce même Jésus et de ses nobles enseignements, prônent, avec véhémence, de stupides thèses suprémacistes ; c’est le paradoxe de l’ignorance originelle…
L’Islam et le Christianisme, indépendamment de certaines différences théologiques, historiques et politiques, ont en partage les mêmes racines spirituelles et géographiques. Il importe de réfléchir aux voies et moyens de mettre fin aux sempiternelles querelles entre ces religions du livre, car le centre de gravité géopolitique du monde, après s’être déplacé du Moyen-Orient vers l’Europe, il y a environ 600 ans, est, depuis environ quatre-vingts ans, en dehors de ce continent ; aujourd’hui, il s’en éloigne quotidiennement…

À l’aube d’un rabattage planétaire des cartes géopolitiques, il est dans l’intérêt bien compris de l’Europe et du Monde arabe de transcender psychologiquement et culturellement les préjugés hérités d’un contexte conflictuel révolu et de bâtir, à la place, des ponts d’échanges et des passerelles de solidarité, au service des objectifs stratégiques de paix et de prospérité, sur la base du patrimoine spirituel, historique, scientifique et culturel commun.
Ceci exige que les gouvernements européens, conformément à la volonté de leur opinion publique, prennent leur courage à deux mains et œuvrent de concert pour que les Palestiniens recouvrent leur dignité et leur liberté, au sein d’un État viable et souverain, dans le cadre d’un règlement pacifique, juste, global et durable.

Isselkou Ahmed Izid Bih
Ex-recteur d’université

20. mai 2025 - 13:12

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